Chaque année, à l’automne, lors du 9ème mois du calendrier lunaire, des milliers de pèlerins de la région se rendent sur la petite île de Kusu, située à moins de 6km de Singapour pour rendre hommage à la fois aux Saints malais et aux Dieux chinois.

En haut d’une butte, se trouvent trois autels dédiés à des divinités malaises auxquelles les pèlerins demandent grâce pour obtenir santé, bonheur, prospérité, chance, fertilité et même réussite aux examens, en accrochant notamment sur les branches d’arbres des rubans jaunes, le long des 152 marches qui conduisent au sommet. C’est sans doute le seul endroit à Singapour où il est toléré d’écrire sur les murs. Les joueurs de la loterie nationale n’hésitent pas à inscrire sur les roches à l’entrée de ce temple les 4 numéros de leur choix en espérant que cette combinaison devienne gagnante après leur pèlerinage sur l’île.

Près de la plage, c’est le temple chinois Da Bo Gong qui attire les fidèles, venus prier pour demander notamment prospérité, guérison et sécurité.

L’île de Kusu ou de la tortue, devenue célèbre pour sa légende selon laquelle une tortue se serait transformée en île pour venir en aide à deux pêcheurs –un malais et un chinois- naufragés, a accueilli plus de 47.000 pèlerins en 2012.

Chun See Lam, fondateur du blog Good Morning Yesterday. ©Colombe Prins

Chun See Lam, fondateur du blog Good Morning Yesterday. ©Colombe Prins

Paul Anka n’est pas forcément son chanteur préféré mais Chun See Lam aime l’une de ses chansons « Times of your life », dans laquelle l’interprète avec son expression « Good morning Yesterday » met en garde contre le temps qui passe et les souvenirs qui filent. A 62 ans, Chun See Lam est nostalgique et aime à penser aux souvenirs de son enfance dans les années 1950 et 1960.

« Lors d’un voyage d’affaires au Myanmar en 2005, raconte-t-il, je partage avec un japonais un taxi qui nous conduit à l’aéroport. Sur la route, pour faire la conversation, je dis à ce passager que je trouve que Yangon (devenu Rangoon aujourd’hui, ndlr) ressemble à Singapour quand j’étais jeune, avec ses bâtiments de style colonial et ses vieux bus remplis. Mais le japonais, surpris, me répond ‘Singapour a donc du bien changer durant ces dernières décennies’. »

De retour chez lui, Chun See Lam décide de lancer son blog « Good morning Yesterday » pour raconter et faire revivre le « vieux Singapour » qu’il a connu. A l’époque, le consultant en management a 53 ans et est l’un des rares de sa génération à bloguer, mais il y prend goût, sans doute parce qu’il a toujours aimé écrire. Aujourd’hui, il s’amuse sur sa page Facebook Good morning Yesterday et partage avec ses 400 amis des photos d’époque.

Une enfance dans un kampong

Né en 1952, ce singapourien d’origine hongkongaise a grandi dans le petit village ou le kampong de Lorong Chuan, aujourd’hui traversé par la CTE (Central Expressway), l’autoroute centrale. A l’époque, il n’y a ni eau courante, ni électricité et un seau fait office de toilette. « On s’amusait beaucoup dans la jungle, on faisait des combats d’araignées et avec des catapultes on visait les oiseaux, raconte le bloggeur en souriant. Le soir, on allait au cinéma en plein air. La vie était vraiment tournée vers la nature, Singapour était vert et rural, ce qui est très différent aujourd’hui », regrette-t-il.

Son père travaille pour l’armée britannique mais Chun See Lam se souvient quant à lui de la première fois qu’il voit « de près » des européens. « On en voyait peu car il était rare qu’on se mélange », explique-t-il. « Un jour, lorsque je devais avoir 4 ou 5 ans, des chevaux montés par des caucasiens en promenade ont traversé le kampong, les chiens tout excités se sont mis à aboyer », raconte-t-il, les yeux encore pétillants.

Puis vient le temps de l’urbanisation et des immeubles HDB (Housing and Development Board). Le Singapour des années 1970 ne ressemble déjà plus à celui des années précédentes que chérit le bloggeur. En 1974, la famille Lam est contrainte d’emménager dans un appartement. « J’ai du me séparer de mes 3 chiens et moi qui avais l’habitude de vivre dans une maison ouverte, j’avais l’impression d’être enfermé dans cet appartement. »

Du blog au livre

Depuis dix ans, Good Morning Yesterday a acquis une certaine notoriété dans la blogosphère singapourienne. Chun See Lam partage avec les gens de sa génération tous ses souvenirs et ensemble ils se rappellent le bon vieux temps. Les lecteurs, qui sont essentiellement des singapouriens ou des anglais ayant vécu plus jeunes à Singapour, commentent les publications, envoient des photos ou donnent des précisions sur des lieux oubliés. De jolies histoires remontent à la surface et des amitiés virtuelles -mais pas uniquement- se créent entre bloggeurs.

Mais c’est aussi à la jeune génération que Chun See Lam veut s’adresser afin de leur raconter le Singapour d’avant, celui qui appartient déjà au passé et dont il ne reste que peu de traces.

Encouragé par l’un de ses trois enfants, il publie en 2012 « Good Morning Yesterday » dans lequel il retrace uniquement son enfance dans les années 1950 et 1960. Lui qui avait toujours voulu être écrivain, voit enfin son rêve se réaliser.

Emmanuel Brouillet, fondateur et directeur de The French Bookshop. ©Colombe Prins

Emmanuel Brouillet, fondateur et directeur de The French Bookshop. ©Colombe Prins

C’est au numéro 55 de la rue Tiong Bahru, que se niche au fond d’un étroit couloir, une librairie française. Le bâtiment blanc, haut de quelques étages seulement comme toutes les autres constructions de « l’estate » – centre de Tiong Bahru- date de 1936. « C’est la première cité HLM que les Britanniques ont créée pour décongestionner Chinatown », raconte Emmanuel Brouillet, le fondateur de The French Bookshop.

Le quartier ressemble à un petit village d’ailleurs réputé pour son marché aux poissons, sa célèbre boulangerie française et plein d’autres charmants magasins d’artistes et de designers.

La librairie aussi est authentique. Au sol, les tommettes bleues et grises sont d’origine. « Le magasin se trouve dans une ancienne cuisine et j’ai du faire enlever l’évier lorsque nous nous y sommes installés il y a trois ans », poursuit le français originaire du sud-ouest.

Des polars et des livres d’histoire

Aujourd’hui, les casseroles ont donc cédé leur place aux 6.000 ouvrages que compte la librairie. Et il y en a pour tous les goûts et tous les âges. « J’ai essayé d’équilibrer pour représenter les différents genres de la littérature, explique le directeur. Nous avons des romans policiers, de la science-fiction, des livres pour les adolescents et les enfants, des livres d’histoire, de cuisine, des guides de voyage ainsi que de la littérature générale avec des auteurs de diverses nationalités -française, américaine, anglaise, espagnole, italienne mais aussi du Moyen-Orient et de l’Asie. »

Passionné de polars et d’histoire, cet amoureux des livres a presque lu tous les ouvrages mis en rayon. « Ici c’est un peu le prolongement de ma bibliothèque personnelle. Tous les livres que j’ai aimés doivent y être et dès que je vends un livre qui m’a plu, je le commande à nouveau », ajoute-t-il.

C’est donc par amour du livre que Emmanuel Brouillet décide de créer The French Bookshop en 2009, d’abord à Chinatown puis à Turf City. Il y passe tous ses week-ends à classer, passer les commandes et assurer les tâches administratives. Car la semaine, le français de 50 ans est directeur financier d’une entreprise française.

50kg de livres commandés chaque mois

Aujourd’hui, la librairie est confrontée à un problème d’espace. Les livres prennent de la place, surtout lorsque tous les mois pour réduire les frais de port, ils arrivent par colis de 50kg. Les cartons remplis d’ouvrages s’empilent donc dans l’arrière-boutique, mais les nouveautés sont en rayon.

La clientèle est certes essentiellement française mais environ 10% d’entre elle est singapourienne prête à se lancer dans l’apprentissage ou l’approfondissement du français.