C’est dans sa cuisine, chez elle, à l’abri des regards indiscrets qu’Irene Ong prépare ses tartelettes à l’ananas. Elle préfère cuisiner seule et loin de l’effervescence du restaurant pour lequel elle travaille, True Blue, situé sur Armenian Street. Une façon pour elle de conserver sa précieuse recette qu’elle tient de ses grandes-grandes tantes et qu’elle a depuis améliorée au point d’en avoir deux pour contenter tout le monde.
La première recette typiquement Peranakan (la culture Peranakan provient du mariage de la culture chinoise et de la culture malaise) est croustillante avec des croisillons qui ornent le dessus de la mignardise. C’est celle-ci qui figure sur la carte des desserts du restaurant. La seconde plus moelleuse, et donc plus riche en beurre est préparée uniquement en vue des célébrations du Nouvel An chinois. Alors chaque année, durant le mois qui précède les festivités, Irene Ong s’affère en cuisine dès 5 heures du matin –et jusqu’à 22 heures- pour confectionner sans relâche chacune de ses 6.000 tartelettes à l’ananas, faites à la main et vendues –la plupart sur commande- à True Blue Space, le café attenant au restaurant Peranakan du même nom.
Pour le blogueur et critique gastronomique singapourien Seth Lui, les « Pineapple tarts » de True Blue figurent en tête de son classement des meilleures tartelettes à l’ananas de Singapour. « Les tartelettes à l’ananas (…) sont minces, larges et moelleuses. En plus de cela, la confiture d’ananas est dense et dégage une saveur douce et forte. La croûte qui s’effrite doucement avec la confiture d’ananas donne un goût légèrement contrasté qui fait ressortir l’essence de la délicatesse », peut-on lire sur le site Internet www.sethlui.com.
Et c’est en effet avec beaucoup de délicatesse que Nyonya Irene – c’est ainsi que l’on appelle les femmes Peranakan– s’adonne à ce qui est devenue sa passion. « J’ai grandi avec ma grand-mère et ses deux sœurs, elles faisaient souvent de la pâtisserie donc j’ai appris grâce à elles », explique Irene Ong. Et de poursuivre, « quand j’avais une vingtaine d’années, j’ai commencé à préparer mes tartelettes à l’ananas et à faire mes propres ajustements. Au moment du Nouvel An chinois, je les vendais à mes collègues de bureau qui étaient ravis d’avoir des gâteaux pas chers. »
Depuis, Irene Ong continue de décorer soigneusement chaque tartelette une à une et de préparer elle-même sa confiture à l’odeur si parfumée. Elle coupe, presse et écrase près d’une centaine d’ananas avant d’y ajouter notamment de la cannelle et des clous de girofle. Vêtue d’un kebaya, la tenue brodée traditionnelle Peranakan, la Singapourienne de 63 ans a le sens du travail et du détail.
Ce n’est pas tant sa recette mais son savoir-faire et son procédé minutieux qui sont un secret. « Les gens veulent m’aider mais je sais qu’ils veulent juste ma recette. Moi, je veux la garder au sein de ma famille, confie-t-elle. Je n’ai pas de fille, je n’ai qu’un fils alors on me demande ce que je vais en faire de ma recette mais je réponds que je dois y réfléchir. Quand je serai plus âgée, peut-être que je la donnerai à ma belle-fille ou à mes nièces… », s’amuse-t-elle. Outre les tartelettes à l’ananas, Irene Ong confectionne également d’autres pâtisseries traditionnelles Peranakan telles que les Kueh Bangkek (cookies de tapioca à la noix de coco) ou le Sugee Cake (gâteau à base de semoule)…
Une fois passées les fêtes du Nouvel An chinois, la cousine du Chef du restaurant True Blue, Benjamin Seck, se consacrera à son autre passion : la scène. Nyonya Irene est aussi actrice sur les planches et devant la caméra.