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Thaipusam est une fête hindoue célébrée aujourd’hui à Singapour et en Malaisie, au cours de laquelle les fidèles rendent grâce au Dieu Murugan. Depuis 20 ans, Shanmugam, un Singapourien de 37 ans participe à ce pèlerinage. REPORTAGE

Du temple Sri Srinivasa Perumal, situé sur Serangoon Road, en plein cœur de Little India, s’échappe dans la nuit claire, une musique envoûtante et rythmée qui annonce les célébrations de Thaipusam. 

Célébré le jour de la pleine lune du mois « Thai » dans la calendrier tamoul (entre janvier et février en fonction des années), Thaipusam est une fête hindoue au cours de laquelle les fidèles rendent grâce au Dieu Murugan, fils de Shiva et de Parvati. Pour l’occasion, les croyants remercient ce Dieu de la Guerre, de toutes les bénédictions qu’ils ont reçues pendant l’année, en prenant part à une procession de 4km en direction du temple de Tank Road, Sri Thendayuthapani. 

Ce rituel religieux qui devrait attirer près de 20.000 personnes aujourd’hui à Singapour, est impressionnant par les souffrances que s’infligent certains pèlerins. 

Il est 3 heures du matin, cette nuit, quand Shanmugam, vêtu d’un linge orange, commence à prier devant son petit autel improvisé et dressé pour l’occasion dans un coin du temple. A ses côtés, d’autres fidèles observent le même rituel.

Ce Singapourien de 37 ans se prépare à s’accrocher à même la peau, le kavadi, une structure en métal d’une trentaine de kilos ornée de décorations en l’honneur du Dieu Murugan qui représente la vertue, le pouvoir et la jeunesse. C’est Shanmugam lui-même qui a acheté il y a quelques années ce kavadi considéré comme un petit sanctuaire divin, pour un montant de 11.000 SGD environ. 

Ce kavadi décoré en l’honneur du Dieu Murugan est en métal et pèse une trentaine de kilos. ©Colombe Prins

Il est entouré de sa famille et d’une quinzaine d’amis venus l’encourager et le supporter durant cette épreuve. A sa demande, sa garde rapprochée porte les mêmes couleurs de vêtements : les femmes ont de jolies robes rose fushia tandis que les hommes sont vêtus d’une chemise rose et d’un dhoti gris, le pantalon traditionnel indien. Un percussionniste et un flutiste s’installent à ses côtés. La musique commence. Le rituel continue. Un homme -un spécialiste- s’approche de Shanmugam et lui transperce la peau pour fixer avec des broches et des piques la structure du kavadi. Au total, 108 trous sur le torse, le dos, les hanches, le bas-ventre, la bouche, le front, les bras et les cuisses. Ces blessures cicatriseront d’ici 2 jours pour les plus petites et 15 jours pour les plus grosses. 

Depuis une semaine, Shanmugam se prépare physiquement et mentalement à cette épreuve religieuse. Il suit un régime végétarien, fortement conseillé afin d’éviter tout saignement. Il se rend au temple deux fois par jour, tous les jours pour prier et dort par terre, sur un drap pour renoncer le temps de cette préparation à tout luxe et confort moderne.

Au total, 108 trous sont nécessaires pour fixer la structure du kavadi à même la peau de Shanmugam. ©Colombe Prins

C’est à 16 ans, l’âge minimum autorisé pour être percé, que Shanmugam a commencé à célébrer Thaipusam. Mais « chaque année est une nouvelle expérience », confie-t-il. « La douleur est supportable mais j’essaie de ne pas y penser, je la prends comme elle vient, je prie Dieu et me concentre sur la procession, en ayant hâte de retrouver ma famille et mes amis », explique-t-il.

Il est 4 heures 30, lorsque Shanmugam quitte le temple de Serangoon Road, suivi de ses proches qui sont très attentionnés à son égard. Dans la rue, la musique s’arrête car il est encore trop tôt. Cette année, pour la première fois depuis 1973, les instruments à percussion sont autorisés, mais seulement entre 7 heures et 22 heures 30.

Shanmugam marche relativement vite malgré la lourde charge qu’il porte, et danse parfois sur lui-même. Il suit un cortège de fidèles. Certains ont des jarres remplies de lait -en offrande au Dieu Murugan-, d’autres s’accrochent avec des hameçons des citrons sur le dos en signe de purification ou d’autres encore traînent des chars attachés à leur dos avec des crochets en métal. Jusqu’à ce soir, les croyants défileront le long du parcours.

Dans la dernière ligne droite, la procession ralentit. Des chanteurs rejoignent le groupe et entonnent des chansons. Shanmugam danse et tournoie alors jusqu’à son arrivée – à 6 heures du matin- au temple Sri Thendayuthapani. Il chausse pour pénétrer à l’intérieur du temple de Tank Road des semelles à clous qu’il retire aussitôt.

Après une dernière danse devant l’autel, il se dirige à l’extérieur pour se défaire, avec l’aide de ses amis, de son lourd fardeau de métal. C’est la dernière épreuve physique pour Shanmugam. Sa fille de 9 ans, est à ses côtés et lui caresse la main. Shanmugam lui sourit avec les yeux car sa bouche est encore fermée avec des piques placées en forme de croix.

Une fois libéré de son kavadi, il s’assoie quelques instants pour retrouver ses esprits. Il est fatigué. Shanmugam enfile sa chemise rose et son dhoti gris. Avec tous ses proches, ils apportent à l’intérieur du temple, le plateau d’offrandes ainsi que les jarres remplies de lait et d’eau de rose. Tous ensemble, ils prient et attendent de recevoir des cendres grises dans un pot en métal.

Après la longue procession de 4km, Shanmugam est libéré de son kavadi et prie devant l’autel de Murugan. ©Colombe Prins

Puis, tandis que certains démontent soigneusement le kavadi, d’autres préparent des sacs avec des repas déjà cuisinés qu’ils vont distribuer en cadeau aux autres fidèles. Quant à Shanmugam, il pense déjà à retourner au temple Sri Srinivasa Perumal pour soutenir ses autres amis qui commenceront leur procession un peu plus tard dans la journée. Et peut-être ira-t-il aussi travailler comme si de rien n’était, dans sa propre entreprise de logistique, comme il avait l’intention de le faire avant le pèlerinage ?

Chaque année, à l’automne, lors du 9ème mois du calendrier lunaire, des milliers de pèlerins de la région se rendent sur la petite île de Kusu, située à moins de 6km de Singapour pour rendre hommage à la fois aux Saints malais et aux Dieux chinois.

En haut d’une butte, se trouvent trois autels dédiés à des divinités malaises auxquelles les pèlerins demandent grâce pour obtenir santé, bonheur, prospérité, chance, fertilité et même réussite aux examens, en accrochant notamment sur les branches d’arbres des rubans jaunes, le long des 152 marches qui conduisent au sommet. C’est sans doute le seul endroit à Singapour où il est toléré d’écrire sur les murs. Les joueurs de la loterie nationale n’hésitent pas à inscrire sur les roches à l’entrée de ce temple les 4 numéros de leur choix en espérant que cette combinaison devienne gagnante après leur pèlerinage sur l’île.

Près de la plage, c’est le temple chinois Da Bo Gong qui attire les fidèles, venus prier pour demander notamment prospérité, guérison et sécurité.

L’île de Kusu ou de la tortue, devenue célèbre pour sa légende selon laquelle une tortue se serait transformée en île pour venir en aide à deux pêcheurs –un malais et un chinois- naufragés, a accueilli plus de 47.000 pèlerins en 2012.